Il y eut un temps où les hommes, plutôt que d'exploiter la nature, tentaient de l'apprivoiser. En ce temps-là, ils tendaient un bras à la rivière, l'eau accourait jusqu'à eux, faisait le cumulet sur une roue et retournait à son cours. Sans effort, sans dépense, elle leur avait fourni par jeu son inépuisable énergie.

C'était le temps des moulins. Les seules fumées étaient celles de la brume s'élevant des biefs dans le petit matin ; les seuls effluves ceux du son et de la farine qui poudroyaient dans la lumière. On pouvait aimer les machines alors. Elles étaient bienveillantes comme des horloges. Les engrenages ronronnaient, les poulies chantaient. Le meunier aimait son moulin comme on aime un être. Il sentait sa chaleur, son roulis, sa vaste respiration qui faisait vibrer les planchers. Le moulin était la demeure de l'homme et non la prison de son travail.

Par le travail remarquable de Jacky Adam ressurgissent non seulement les moulins, chefs-d'œuvre d'une ingénieuse complicité avec le monde, mais l'épaisseur de la vie où ils prenaient place. Les propos si vivants des témoins, leur langage de première mouture nous rendent un monde trop vite oublié.

Des Moulins et des Hommes est un véritable monument, une borne gravée qui nous invite à l'arrêt, nous autres passants d'une époque pleine de suffisance. Jacky Adam ne larmoie pas sur le bon vieux temps. Il campe avec vigueur une civilisation et nous donne une leçon de respect, de modestie, de sagesse.