Il en est des évidences comme des proximités : elles aveuglent; de même de certaines passions, bau-delairiennes surtout1. Serait-ce la raison de la méconnaissance qui affecte notre perception de la scène artistique d’un de nos plus proches voisins et parmi les plus dynamiques du moment ?

Notre musée ayant entrepris un tour d’Europe de la création du 20ème siècle, non par le survol souverain et encyclopédique des grandes voies balisées, mais avec la curiosité musclée du “coureur du Tour” allégé du poids des “reconnaissances”, l’esprit et les sens en alerte et aiguisés par les saveurs et les inattendus des hors-champs, c’est tout naturellement qu’il s’est, d’emblée, retrouvé dans ce carrefour de toutes les aventures de l’histoire et des histoires comme dans un des hauts lieux - non lieu de la création d’aujourd’hui.

A l’arpenteur têtu des ateliers d’ici et d’ailleurs, au ras de la création et dans l’abandon nécessaire des repères obligés de l’histoire de toujours et de la mode d’un jour, “la” scène belge, multiple, plurielle, paradoxale, singulière toujours, s’impose et impose, d’abord et surtout, une présence, une surprésence, celle de l’Autre. Inclassable hier comme aujourd’hui, étrange, inquiétante parfois même d’être si définitivement irréductible à tout système. Totalement “irrégulière” dans sa façon de concilier les écarts absolus du rêve éperdu et du réel à corps perdu, de l’anarchie et de la règle, du carnaval et de la mort, du quotidien et de l’insolite, sa personnalité très forte, pourtant traversée par toutes les influences, a su se préserver de tout effet de mimétisme, avec une différence vraie dont le caractère national apparaîtra vite à la fois comme le ciment improbable et le leurre obligé. Constants, les problèmes d’identité, de langage, et ce sentiment aigu d’écartèlement schizoïde et de précarité, d’où, par réaction peut-être, la force des individualités plus que jamais patente dans la création d’aujourd’hui, et qui a servi de déclencheur déterminant à cette manifestation.

Loin des idées blondes et des transparences solaires de certains clichés internationaux, l’on verserait ici du côté de la nuit et de ses effluves, de ses humidités froides; de l’humus originel mais aussi de plans d’eaux irréels et autres miroirs plus ou moins glauques où songes et mensonges s’inventeraient des hybrides de rêves et de cauchemars dans lesquels s’inscrirait parfois, bien réel, son propre visage (permanence de l’autoportrait plus ou moins déguisé). Paradoxe, le réel est toujours là, mais se met parfois en scène avec tant d’excès - dans ses déclinaisons morbides ou charnelles, mystérieuses ou énigmatiques, aux confins seulement d’un tragique jamais exhibé -, qu’il pourrait désigner ses manques : malaise(s), absence(s), vide(s), déclinent leurs cérémonials dans des mises en scène plus ou [...]