Le 6 juin 1662 Colbert ordonnait l’acquisition de l’HÔtel des Gobelins dans le faubourg Saint-Marcel à Paris afin d’y réunir les différents ateliers de tapisserie qui existaient dans la capitale et surtout y joindre les artistes qui avaient travaillé à Maincy pour le Surintendant Fouquet.

Lors delà fête donnée à V aux le 17 août 1661, Louis XIV avait en effet pu admirer les réalisations exécutées sous la direction de Charles Lebrun. La disgrâce de Fouquet amena le souverain à faire au profit du royaume, ce que le Surintendant avait conçu pour son propre usage. Le développement des manufactures royales allait orienter tout l’art décoratif du règne dont Versailles reste le plus bel exemple.

Lebrun, qui devait être nommé Premier Peintre du Roi puis annobli et institué Directeur de la Manufacture Royale des Gobelins, veilla aux moindres détails des commandes qui lui étaient faites. Il sut glorifier le roi grâce aux allusions et aux figures mythologiques dans les appartements du Louvre, des Tuileries ou de Versailles. Mais il eut également, en accord avec Colbert, l’idée de relater la vie du Souverain grâce à des compositions historiques exactes qui devaient être exécutées en tapisserie et ce fut la tenture de 1’« Histoire du Roi ».

Certes, au xvie siècle, « les Chasses de Maximilien » ou les scènes de « la Vie de Henri III », comme au xvne siècle l’« Histoire de Laurent le Magnifique» ou celle de Cosmc Ier de Médicis (sans parler des tapisseries antérieures), avaient pris pour thème des scènes historiques; il n’empêche que 1’« Histoire du Roi » allait renouveler la tapisserie française et, avec les autres créations de la Manufacture des Gobe-lins, lui donner un grand essor au détriment de ses rivales des Flandres.

Il nous a semblé intéressant de présenter dans son ensemble cette tenture de 1’« Histoire du Roi » car, depuis la parution de l’ouvrage général de Fcnaille au début du siècle, et en dehors des catalogues des expositions de Versailles ou des Gobelins, le sujet n’avait pas été traité.

Pourquoi avoir choisi la troisième suite en basse lisse à or, alors que la première suite en haute lisse à or pouvait sembler plus séduisante et est effectivement plus belle, en particulier dans le décor des bordures? C’est que, d’une part, en dehors de la deuxième pièce (« L’entrevue de Louis XIV et de Philippe IV ») qui se trouve à notre Ambassade de Madrid, et de trois pièces remplacées par les mêmes compositions de la sixième tenture, la troisième suite en basse lisse à or est entièrement regroupée au château de Versailles.

De plus, les troisième et sixième suites sont les seules (si l’on excepte la quatrième en grande partie disparue) qui aient véritablement participé au décor de la Cour; en particulier, c’est de la troisième suite que furent tirées les huit pièces, qui d’après l’inventaire de Versailles de 1751, décoraient les appartements du Dauphin fils de Louis XV. Elles pourraient même être remises en place à un moment où on cherche à restituer le rez-de-chaussée du corps central du château dans son état ancien.

C’est volontairement que l’on n’a étudié que pour mémoire les deux pièces supplémentaires en haute lisse sans or qui constituaient la cinquième série; commandées à l’extrême fin du règne de Louis XIV et achevées seulement sous Louis XV, elles ne furent tissées qu’une seule fois; elles ne participent plus au projet de Lebrun et peuvent même être considérées comme des compositions rétrospectives.

Un des grands intérêts de 1’« Histoire du Roi » est l’équilibre qui exista dans sa conception entre les scènes d’aspect militaire et celles d’aspect civil ou diplomatique. De plus, elles nous font revivre les premières années du règne du Grand Roi (1654-1678), reproduisant avec bonheur le mobilier d’argent fondu en 1689 mais dont les descriptions nous ont été conservées par l’inventaire des Meubles de la Couronne et le Livre-journal qui lui fait suite. Les personnages représentés étant souvent identifiables, c’est une véritable iconographie du début du règne qui nous est ainsi fournie. On remarquera que le Roi lui-même est généralement représenté plus jeune dans les scènes militaires que dans les scènes civiles où Lebrun a cherché un maximum de solennité.

Sans vouloir faire de ce livre un ouvrage complètement exhaustif, on a cherché à donner le maximum de renseignements concernant cette « Histoire du Roi ». Après une description de chacune des quatorze pièces, il nous a semblé utile d’étudier successivement l’élaboration et le tissage des tapisseries, puis les différentes suites, ensuite les différents éléments préparatoires conservés, enfin l’historique depuis sa création jusqu’à nos jours de 1’« Histoire du Roi ».