Toutes les sciences humaines soulignent de plus en plus l’importance des phénomènes d’industrialisation et d’urbanisation au cours de l’histoire contemporaine. Les villes ont sans doute toujours été le centre des civilisations et il est donc essentiel à l’intelligence des sociétés qui les ont développées de connaître leur formation et leur vie. Mais depuis le début du XIXe siècle, la division du travail et l’essor démographique leur ont assuré une importance sans précédent; le mode de vie et jusqu’aux cadres de pensée de l’humanité en ont été profondément transformés. Cette évolution a été désignée sous le terme de changement social et elle a été décrite de façon sommaire comme le passage d’une société stable, où les divers rôles se compé-nètrent largement, à une vie urbaine industrialisée, où l’activité des personnes est fragmentée par les nécessités de la technique. On peut discuter d’une telle généralisation; elle n’en souligne pas moins l’ampleur de la transformation qui s’est opérée dans les structures sociales depuis la fin du XVIIIe siècle.

De nombreux conflits ont évidemment résulté de cette évolution, sur les plans économique et idéologique notamment, et l’histoire sociale a surtout été jusqu’à présent celle des efforts déployés pour les apaiser. Le processus du changement social lui-même passe aujourd’hui à l’avant-plan des recherches et c’est à lui que s’intéresse notre étude. Nous n’avons pas tenté une fresque générale des transformations sociales qui ont accompagné le développement industriel; une telle synthèse suppose de nombreux travaux préliminaires, dont nous ne disposons pas. Mais nous avons voulu préciser une série de données essentielles par un exemple déterminé. Nous avons étudié une importante commune ouvrière de la région liégeoise, Seraing-sur-Meuse, et plus particulièrement le problème des conditions de vie telles qu’on peut les reconstituer à partir de l’habitat. Nous avons systématiquement analysé l’évolution du nombre et de la qualité des maisons, puis celle de la structure sociale des constructeurs et des propriétaires, enfin leur regroupement par quartiers. Ces opérations nous ont permis de tracer un ensemble de courbes précises que nous avons comparées aux données disponibles concernant les mouvements démographiques et économiques. On verra, croyons-nous, que la lumière projetée sur l’évolution des logements donne un relief nouveau à toute l’histoire sociale.