VOICI une extraordinaire épopée et l’un des destins les plus étonnants de l’Histoire. Ascension aussi rapide que celles d’Alexandre ou de César, et même pente plus escarpée, car Alexandre était fils de roi et César de famille consulaire. Napoléon Bonaparte appartenait à une famille corse sans fortune, plus tard exilée de son île natale. Nul ne semblait moins préparé à gouverner la France que le boursier orgueilleux et timide dont l’accent étranger amusait ses camarades de Brienne.

A seize ans il est lieutenant d’artillerie. Ses plans sont modestes : gagner sa vie ; aider son clan familial ; rentrer en Corse pour y faire une carrière politique et militaire. Vaguement il rêve d’écrire une histoire de son île, car cet artilleur, romantique avant le Romantisme, se croit, non sans raison, homme de lettres. Guéri du mythe corse par l’hostilité des Paolistes, il repasse en France avec sa mère, ses frères et ses sœurs. Qu’ont-ils pour vivre, tous ces Bonaparte? Une solde de capitaine, les faibles secours de rapatriement, l’amitié d’un commerçant marseillais. A vingt-quatre ans, âge où beaucoup de soldats de sa génération se hâtent sur le chemin ie la gloire, Napoléon n’est encore qu’un capitaine sans avenir.

Premiers miracles : le siège de Toulon, les succès de l'artilleur, la protection des commissaires corses, celle des Robespierre, le grade de général de brigade. Mais des généraux, sous la Terreur, on en fait facilement ; on les destitue plus vite encore. Second miracle : le 13 Vendémiaire. Ce jeune général en disponibilité, parce qu’il connaît Barras et Joséphine de Beauharnais, parce qu’on a besoin d’un homme à poigne, reçoit le commandement des troupes de Paris et sauve la Convention. Général en chef de l’armée de l’Intérieur, il se trouve en bonne position pour obtenir l’armée d’Italie.

Alors son génie perce, éclatant. Après Lodi, il comprend que les plus hautes ambitions lui sont permises. « Je voyais le monde fuir sous moi comme si j’étais emporté dans les airs. » Maître de l’Italie, il se révèle chef d’État autant que grand soldat. Au moment de son retour en France (retour triomphal car Bonaparte rapporte à la fois la victoire et la paix), il a la sagesse de temporiser. Le fruit n’est pas mûr. La campagne d’Égypte, bien que vaine, lui confère le prestige mystérieux de l’Orient. En un temps où le Directoire semble atteint de consomption sénile, ce jeune héros revient d’Égypte en sauveur. L’homme du Destin chasse les avocats. « La France n’était pas violée, elle se donnait. »

Le voici Consul, Premier Consul, Consul à vie, puis en 1804, à trente-cinq ans, Empereur des Français. Il jouit du pouvoir en homme qui se sent fait pour l’exercer, aussi bien aux armées qu’il conduit à des victoires foudroyantes qu’à l’intérieur où il a su réconcilier les Français, faire la paix religieuse, doter la France d’institutions dont beaucoup survivent encore aujourd’hui. En 1807, il domine [...]