Bruxelles 1850.

Capitale du jeune royaume de Belgique depuis vingt ans, la vieille cité brabançonne offre encore par bien des aspects l'allure d'une ville provinciale. Quoi de plus désuet que la Senne paresseuse qui charrie ses eaux grasses à travers un dédale inextricable de petites rues glissantes ?

Maint artiste se plaît à reproduire le charme pittoresque de ses abords rustiques. La rivière serpente entre d'innombrables bicoques aux logettes surplombantes et aux toits enchevêtrés; elle est coupée de petites écluses et de ponts, et fait tourner çà et là la roue d'un moulin; ses dérivations, ses boucles, ses méandres forment des îles et des étangs sans nombre. A chaque pas, elle reçoit les déchets des brasseries, des teintureries, des tanneries situées sur ses rives. Parfois elle déborde, et provoque des désastres; voici qu'en plein mois d'août de cette année 1850, des pluies torrentielles ont fondu sur la ville : la Senne est sortie de son lit, a inondé les caves, envahi les rues et transformé en lacs les jardins des demeures cossues: une épidémie de choléra a décimé la population. En haut lieu, on s'alarme, et l'on songe aux moyens de conjurer ce fléau.

De part et d'autre du cours d'eau s'étendent par endroits de larges espaces ouverts, ici champs couverts de cultures, là prairies où blanchit le linge étendu par les lavandières. Au-delà des portes d'octroi, autour desquelles règne quelque activité, c'est la campagne, où les terres cultivées alternent avec les pâturages et les bois. Au détour d'un chemin surgit le toit d'une ferme, d'une auberge, ou d'une guinguette.

Dans cette cité encore si provinciale vit un peuple laborieux, éloigné modestement de tout luxe, capable de [...]