Un jour que j'étais à Coppet sur les traces de Madame de Staël, j'entendis de la bouche d'un guide, que celle-ci adorait son père et qu'elle s'employait à perpétuer sa mémoire. Necker n'avait peut-être pas besoin d'elle pour laisser un nom ? Mon père à moi était mort depuis quelques années et j'avais déjà beaucoup parlé de lui.

Non, il n'y avait plus de raison, cher Alexandre André, après trente années, alors que presque tous ceux qui l'ont connu ont disparu et que tout a été dit à son sujet, de réveiller encore son souvenir. Le temps n'a qu'à faire son œuvre ...

Et cependant, je n'ai pu résister aux sollicitations de son fidèle ami dont le souci constant était de rééditer « Visage de la Wallonie », paru aux Editions Labor en 1934.

Voici trente ans que mon père est mort ; trente ans, l'équivalent d'une vie d'homme jeune, en plein devenir, la moitié de ce qu'il allait vivre.

J'essaye de l'imaginer à trente ans. 1916 ! Et je le vois à Londres en uniforme kaki de correspondant de guerre pour l'Associated Press, apprenant tout à coup par la lecture d'un journal la mort d'Emile Verhaeren.

Verhaeren, le grand poète de ses vingt ans, l'ami de toujours, celui qui lui avait écrit peu de temps avant, dans un dernier billet :

«Merci pour vos deux envois. Dans la Revue de Hollande, j'ai lu votre article en son entier. Que de bonne amitié je sens en vous. Les vers que vous faites depuis la guerre me sont fraternellement chers. Votre émotion s'y avive et s'y renouvelle. Vous sentez mieux à travers votre indignation et votre souffrance. Je vous sais courageux et net et clair. Vous portez fièrement votre dignité d'homme et vous cherchez sans cesse à rendre plus ardente votre vie. Vous voilà père de nouveau. Celui qui crée un être humain pose, à cette heure, un acte de foi dans l'avenir. Croyez que je vous aime bien. »