Si ceux qui croient pouvoir écrire l’histoire d’une famille (ou d’un village) sans connaître la grande Histoire, se trompent gravement, combien est plus grave l’erreur de ceux qui, tentant d’écrire la grande Histoire, font fi de l’histoire des familles. Et autant la monographie d’une famille est insuffisante pour éclairer pleinement, sur les aspects les plus humains de la vie du passé, l’écrivain de la grande Histoire, autant lui est bienfaisant, sinon nécessaire, pour ses travaux de préparation, un ensemble aussi large que possible d’études approfondies sur les familles de la région considérée. Le parallélisme vertical d’une série de généalogies d’une même contrée, établie depuis leur origine jusqu’aux descendants de nos jours, permet seul ensuite l’étude horizontale de phénomènes familiaux, qui sont pareils le plus souvent, à la même génération et à la même époque, dans toutes ces familles, et décèlent, mieux que tout autre méthode, des courants sociaux, patrimoniaux, et moraux, dont la révélation commune, profonde, (et comme intime dans sa multiple intimité) est nécessaire à la reconstitution d’un milieu et à la recréation d’un climat. Combien plus instructive encore cette étude lorsqu’il s’agit d’une région naturelle dont les habitants, à travers les siècles, forment un groupe humain, d’origine ou de formation communes, que des frontières politiques, parfois contre nature, ont fractionné, coupant les uns des autres en leur propre sein, les familles qui le forment. Leurs destinées semblent irrémédiablement diverger : le plus souvent elles ne divergent qu’à la surface. Un jour, à la suite de remous nationaux, ou de travaux historiques profonds, une reprise de conscience fait sentir à ce groupe humain, sa séculaire unité. C’est le phénomène qu’étudie en ce moment, et qu’encourage sur tous les plans vitaux dans les pays d’entre Meuse et Rhin — pays sans frontières, écrivait-on l’autre jour en tête d’un beau livre, pays de trop de frontières ou de trop dures frontières, peut-on dire en même temps — le Groupement Européen des Ardennes et de l’Eifel. Comment le président de celui-ci n’exprimerait-il pas sa confiance — et déjà sa reconnaissance — à l’infatigable et savant Maurice Lang et à tous ceux qui, avec lui, entreprennent ces Tablettes ou veulent y collaborer. Certains croient peut-être qu’ils agissent dans l’intérêt de la seule science familiale. Ce serait déjà bien. Ils font bien plus en ce moment dans une aire géographique décisive : ils rendent un modeste mais grand service à l’Europe, et à notre occident d’abord.