GLORIEUSES dans toute la Belgique, comme nos coureurs cyclistes et nos joueurs de football, les Marolles sont, pour la plupart de nos concitoyens, une sorte de mythe cordial et populaire. Nous en connaissons l’irremplaçable marché dominical de la Place du Jeu de Balle et la saveur chaudement hybride d’un dialecte franco-flamand, né dit-on de la venue des maçons wallons qui ont travaillé à l’enceinte espagnole de Bruxelles. Mais à part cela, nous ignorons presque tout du vrai cœur d’une capitale dont l’âme se rapetisse tandis que croissent les géométries — verre et béton — de ses immeubles-tours.

Ce vieux cœur d’un Bruxelles fraternel, ironique, affectueux et frondeur est pourtant célébré avec amour par plusieurs folkloristes, et par les merveilleuses marionnettes de Toone. Mais celles-ci, pour ressusciter, ont dû quitter le quartier de la rue Haute pour celui de la rue des Bouchers.

C’est un signe, et il est grand temps que les impasses, les « caberdouches », les visages et les petits métiers farouchement indépendants d’entre Chapelle et Porte de Hal soient — une dernière fois? — célébrés dans un mémorial tendre et narquois. Le voici, ce mémorial, dans son juste dosage, qui, à l’inverse de notre habitude, est d’une alouette de moquerie gentille pour un cheval de tendresse humaine et d’admiration mélancolique.

Il est né de la rencontre entre un éditeur dont l’enfance se déroula rue Saint-Ghislain, aux frontières des Marottes, et d’un étranger qui a la caméra aussi fraîche et neuve que l’œil, Klaus Besser.

Cet Allemand social, foncièrement anti-nazi et anti-casque-à-pointe, devenu, pour moitié, sinon plus, un Bruxellois d’adoption, nous livre ici une suite d’instantanés qui sont autant de coups de foudre sentimentaux. La merveille est que le sentiment y soit aussi vif, pénétrant et fin que l’art accompli du photographe. Jusque dans les minutes de vérité les plus criantes ou les plus douces, jusque dans les plus ingénieux équilibres de lignes, de rayons et d’ombres, jamais les prouesses [...]